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LES HOMOS SONT-ILS PERVERS ET VOLAGES ?
Texte
Souvent, je
constate qu'on nous affuble des pires intentions alors que nous n'avons
que des motifs louables et des envies loyales. La société nous contraint
à être à l'écart du commun en nous empêchant d'être nous-mêmes. On nous
dit volages, pervers !
Nous souffrons de ces insultes d'autant que nous les ressentons comme
des cataplasmes imposés qui ne nous représentent pas, mais vis-à-vis
desquels nous devons faire bonne figure et donner le change. Dans nos
relations de couple, ces anathèmes nous marquent et nous créent des
motifs de doutes à propos de l'engagement de nos compagnons. Il en fut
bien ainsi pour Pierre et moi : mes écarts et les siens ne furent rien
face au poids de jugements traditionnellement malveillants qui nous
clouent au pilori et nous laissent sur la peau une odeur et un goût de
souffre. La difficulté d'être tient aussi à l'obligation que nous avons
d'assumer ce dont on nous accuse mais qui ne nous correspond pas.
Cocteau écrivit : " Je suis plus fier des vices que j'ai que de ceux que
l'on me prête ! " Oui, nous accuser de légèreté nous nuit beaucoup plus
qu'il n'y paraît. L'accusation est fausse mais nous fait porter le
tribut de la rumeur qui jamais ne se dément.
" Quand les hommes vivront d'amour
Il n'y aura plus de misère
Les soldats seront troubadours
Et nous, nous serons morts mon frère. "
J'espère
souvent avec le poète, Raymond Lévesque, qui a écrit ces vers pour
Robert Charlebois et Gilles Vignot, que cette fable chantée se réalisera
un jour. Cependant parlons-nous du même amour ? En ce qui me concerne,
je souhaite vraiment que l'amour charnel entre hommes puisse être vécu
librement, ouvertement. De mon point de vue, c'est le plus sûr moyen de
déjouer les vilenies et les guerres : comment envisager en effet
d'envoyer au combat meurtrier, un être de chair et de sens que nous
pourrions désirer, aimer ? Pour Lévesque par contre, sa référence à
l'amour, me semble proche de celle des religieux : un amour idéal et
collectif qui permettrait à chacun de respecter son prochain. Comment
une conception aussi traditionnelle a-t-elle pu inspirer un poète
résolument anticonformiste ? Mystère de la pensée ! Non, mystère du
langage. Il est parfaitement évident que le contexte dans lequel
Lévesque écrit ces quatre vers est absolument dénué de toute allusion à
l'homosexualité. Comment pourrait-il d'ailleurs y penser, lui qui n'a
jamais loué que l'amour des femmes ! Charlebois, son interprète, ne fait
alors qu'exalter les valeurs morales habituelles, les reprenant à son
compte pour les grandir. J'imagine sa réaction si j'avais pu lui faire
part des références à la sensualité mâle qu'elle m'inspire. Il aurait
désapprouvé aussi fortement qu'un André Breton était opposé à la " chose
sexuelle entre hommes ", par antipathie primaire et rétrograde, ne
pouvant vanter que sa jouissance normalisée. Etrange pour des esprits
prétendument ouverts et libertaires.
S'est-on jamais avisé pourtant que la clairvoyance de l'homosexuel colle
surtout à sa difficulté sociale, à son statut d'exclus, au viol de lui
et de son intimité par le monde hétéro-normé qui l'a marginalisé,
repoussé et caricaturé souvent dans des conditions indignes et par des
allusions inqualifiables tellement éloignées de sa nature et de son goût
de l'homme que ç'en est grotesque. La société s'arroge le droit de
juger. C'est d'autant plus inadmissible que ce jugement est biaisé par
une hypocrisie archaïque et dissimulatrice, mise en place pour cacher
les travers les plus sordides de ceux qui nous blâment.
La position
de l'homo, même avec les avancées connues de nos jours, est encore bien
inconfortable et injuste. Des contraintes sociales le conduisent vers
des comportements parfois inconstants. Ils lui sont toujours vivement
reprochés, comme s'ils étaient le reflet de sa nature, alors qu'ils ne
font que démontrer le manque d'acceptation et de considération entourant
sa vie. Pauvres de nous, qui sommes des mal aimés ! Aucune institution
sociale, mariage ou adoption d'enfants, ne nous permet de nous
positionner dans la société de façon épanouissante et stable. Nous
sommes des oiseaux sur la branche à qui certains concèdent quelques
droits mais surtout des contraintes.
Il n'y a pas si longtemps, encore, on accusait l'homosexuel de ne
pouvoir vivre des relations amoureuses que dans des endroits malsains.
On lui reprochait de se terrer dans des lieux sordides, des culs de
basse fosse ou des caves non éclairées. Seuls endroits pourtant, où
dissimulé et à l'écart de tous, il lui était toléré de se rencontrer
avec ses frères de coeur. A qui la faute ? A lui ou à la société qui le
forçait à se cacher dans les pires conditions. Comment alors pouvoir
établir des relations stables, dans un contexte d'insécurité et de
clandestinité où toute effusion affective était décrétée scandaleuse !
Rien de durable ne pouvait être construit, tout était éphémère et
subrepticement assouvi. Ce qui est innommable, c'est qu'en plus, on nous
reprochait de ne pas être capables de générer des relations de longue
durée. A qui la faute ? Comment nos pères auraient-ils pu, vilipendés et
humiliés, créer des amours affichés et permanents alors que tout leur
imposait la dissimulation et le secret. Il faut vraiment arrêter de
rendre coupable de fautes ceux qui ont dû, en fait, subir !
Je me demande quelquefois, pourquoi quelques personnes accusent autant
les homos de légèreté et de perversité ? Si nous le sommes, le
serions-nous par nature ou par contrainte ? Par désir du vice ou par
obligation de se cacher ?
A
l'homosexuel tout le monde voudrait toujours faire lever le masque,
souvent pour s'en offusquer et repousser l'individu immédiatement. Mais
alors, pourquoi ne demande-t-on pas aux maris volages d'afficher leurs
liaisons avec leurs maîtresses, tout comme leurs désirs scabreux,
inavouables parfois ? Si un homo est admis à un repas en ville,
l'annonce de sa venue est toujours précédée de quelque échange, - pour
que tout le monde soit informé -, mais lui, est-il informé des
médiocrités des autres convives. " Ah oui ! Il est comme ça. Euh, euh !
Mais ça n'a pas d'importance. Il est très drôle ". Qu'est-ce qui est
drôle, lui ou sa présence ? Lui ou sa condition de reclus dont on
s'amuse franchement comme de celle d'un animal de cirque ?
Adolescents, nous sommes la victime de la mainmise de nos familiers, de
nos camarades prompts à la critique et à l'ironie. Plus tard, n'a-t-on
pas jeté les yeux sur un garçon, un peu ordinaire, n'affichant pas le
parangon de beauté prôné par les télévisions spectacles, qu'on nous
déclare : " Tu ne vas tout de même pas te le faire ! " Honteux d'une
éventuelle faute de goût, voilà que nous baissons les bras et ignorant
un être qui peut-être, par sa simplicité et son authenticité, aurait
fait notre bonheur en dehors de toutes les médiocrités de ceux qui se
croient trop beaux ou sont sûrs d'eux. Baudelaire parlait " d'une
imperfection ou d'un déséquilibre des traits qui peut provoquer le désir
", sans nul doute il a vu juste. Que de trésors d'amour et d'affection
sont cachés chez les physiques ordinaires, bien plus que chez les
prétentieux et les fous de leur corps. Pourquoi, laids ou laides
n'auraient-ils pas la capacité de procurer plaisir et bonheur à leur
partenaire ?
Si l'être humain savait ce qui l'attend, il s'arrêterait au bord, tout
net pour hurler de désespoir. Il se peut bien que l'être humain ne soit
pas si intéressant que la fausse sagesse du monde le prétend. Son
acharnement guerrier, ses passions destructrices, ses bassesses et son
mépris pourraient bien le situer au rang des monstres et des démons.
Mais va ! Il faut bien que son côté sensuel, nous rassure et le sauve de
l'infâme et du pitoyable, pour que nous décidions malgré tout de
l'aimer. J'aime l'homme lorsque sans fard, il ose un instant au moins,
se laisser envahir par son anxiété existentielle, et rejette le miroir
aux alouettes le conduisant à tout dissimuler.
Etrange et malfaisante, cette société où sans scrupule on laisse
s'accroître les injustices : nous ne sommes pas dans la règle commune,
inique, nous sommes donc rejetables.
Combien de gens tournent le dos à leur vérité, comme des demi-aveugles
qui ont cessé d'espérer trouver le Graal, persuadés que leur quête est
inaccessible, scabreuse, à enfouir aux oubliettes intimes. La poudre
jetée aux yeux des innocents ne change rien au danger d'un monde
désenchanté et perverti qui passe à côté de son salut et risque de
s'autodétruire par manque de respect des sens.
L'homo est
incompris dans ce monde. Il s'y sent jeté par erreur, pour le rabaisser,
l'humilier souvent. Personne ne semble vouloir comprendre que chacun
peut vivre sa sexualité en faisant grandir la petite part du mystère de
l'amour qui accompagne, par magie, chaque rencontre amoureuse. Les
moralistes vivent dans leur monde, hermétiques aux sentiments des hommes
qui aiment les hommes, des hétéros, des femmes qui préfèrent les
femmes.
Pour un homo comment comprendre les couples normés qui l'entourent,
leurs visées n'ayant aucun point commun avec les siennes ? Mon ami Henri
Rode écrivait, selon la clairvoyance qui le caractérisait et qui avait
fait l'admiration de Marcel Jouhandeau : " Dans quel décor
invraisemblable vit-il, où il n'est qu'un acteur contraint de jouer faux
et à contre-pied ! Qu'est-ce qui a voulu, dans un ordre de vie et des
choses où il se découvre fourvoyé, qu'il soit cet étranger auprès duquel
l'incertain héros de Camus lui semble agir selon la logique
universelle. De ce malaise assumé avec un visage arrangé, de fausses
paroles et de faux sentiments, provient un bon nombre de suicides
d'homosexuels. Le monde change mais la grimace de l'homo subsiste. "
Toujours dans l'incertitude de plaire ou d'être acceptés, inlassablement
sur le fil du rasoir du doute, il n'est pas étonnant de trouver parmi
les homos des créateurs d'art aussi nombreux. Rien d'invraisemblable à
cela, puisqu'il semble évident que les plus grandes oeuvres ont été
bâties sur le terreau de l'excès de préoccupations de leur auteur. "
L'oeuvre d'art ne peut germer que dans un esprit préoccupé ". Les homos
jettent leurs difficultés existentielles dans le chaudron de la
créativité pour oublier qu'ils sont laissés pour compte et prouver
qu'ils sont utiles.
Pourtant dans notre société phallocrate, qui milite pour la supériorité
des valeurs dominantes, l'homosexualité mâle devrait être bien plus
respectée, puisqu'elle se traduit par une exaltation de la virilité
masculine, en ce sens que, tant aimer l'homme, vraiment homme, ne peut
se concevoir que par un goût encore plus prononcé, que chez les autres
hommes, pour la masculinité. Paradoxe ou contresens ! Les hétéros
préféreraient-ils être conduits par les femmes ? C'est sans nul doute un
fantasme pour eux, mas uniquement sexuel et pas du tout pour partager
le pouvoir.
La plupart
des diseurs de morale se sont entendus pour cacher l'être humain dans
son entièreté. Ils le réduisent à une approximation, ignorant eux-mêmes
les plaisirs qu'ils contestent. Ont-ils envie de se scandaliser sur la
liberté de jouir, pour dissimuler leurs penchants immoraux et leurs
désirs inassouvis ? Qui sait ! Il n'en reste pas moins vrai que pour eux
nous devons voir le monde à travers leurs yeux et respirer à travers
leur logique aussi vaniteuse que fallacieuse. Plus encore, nous ne
devrions être autorisés à aucun des plaisirs qu'eux-mêmes s'octroient
durant leurs sautes d'écart. " Cacher son moi " est dans nos sociétés
une philosophie synonyme d'Honneur : ne pas montrer que nous avons mal,
ignorer nos sentiments ! Depuis le XIXième siècle, les puritains ont
voulu tout dissimuler des passions, pour ériger l'hétérosexualité comme
idéologie universelle, si bien que tout a été frelaté, séparant le
physique du moral, culpabilisant les sens et les êtres, dans le but de
nous aveugler et nous tromper. Tout comportement humain étant
aujourd'hui justifié grâce à des a priori, bien peu nombreux sont les
gens de bonne foi qui peuvent imaginer ce que nos sens peuvent révéler
au-delà des contraintes, à l'état ordinaire dans la plénitude de nos
envies intimes.
Des années et des années d'oppression ou de dérision ne s'effacent pas
d'un revers de la main. Les gays, promis désormais à plus d'indulgence,
en sortent contrefaits et pas toujours sûrs de leur position dans la
société. Les honteux, par la force d'une mise à l'index, sont encore
nombreux et les autres vivent souvent sur le territoire d'un monde à
part, repoussé aux frontières de la norme.
Tous les interdits imaginés et les tabous sociaux, imposés par les "
assis ", nous font passer à côté de nous-mêmes et d'eux-mêmes par la
même occasion. Souvent prises pour galéjades, les réflexions sur les
épouses autoritaires, modèles de stabilité familiale, ou les époux
infidèles, symboles de leur grande vigueur, témoignent en fait de
l'erreur commise par l'intolérance, fruit de la tyrannie : établir, par
la force, des règles pour contrôler les sens. Une telle méthode ne
permet en rien d'épanouir les plus beaux sentiments des hommes :
l'amour, l'amitié. N'est-il pas étrange, qu'interdits et manques de
respect permettent de dissimuler l'échec du modèle hétéro-normé ?
Pour s'en convaincre, il est simple de rappeler que le viol des enfants
est commis, à une majorité écrasante, par des hétérosexuels. Les
violences conjugales concernent des quantités effarantes de femmes
martyrisées, violées, battues, tuées même par leur mari. Certains
s'agacent de l'habitude trop facile qu'on a prise de prêter aux homos un
goût pour la dépravation. Mais aux " normaux ", trop de licence est
accordée. Mis à part les couples sages et les célibataires assagis, il y
a les plus nombreux : ceux et celles, qui entendent multiplier leurs
expériences, collectionner les corps dans de folles parties
d'échangismes pour débrider tous les sens. Les films X soutiennent
souvent les plaisirs domestiques flageolants. Il n'est d'ailleurs pas
rare d'y voir, citons " Closet Set n°1 " de Joe Cage, des hétéros
patentés, connus pour leurs prouesses avec les dames, se régaler de
l'homme, sans frein et sans mesure.
D'autre part, le couple modèle " homme-femme ", prétendu le plus
pertinent et pour le moment le seul ayant les moyens de procréer,
pourquoi crée-t-il autant d'homos ? Comment ? Parce que l'humanité ne se
résume pas à un ensemble d'obligations et de contraintes auxquelles
l'ordre moral voudrait nous faire adhérer aveuglément, religieusement.
Cet ordre, utile certainement lorsqu'il s'agissait de procréer à
profusion pour peupler la planète, se doter de bras pour faire la guerre
ou réaliser du travail vil, devient absurde lorsqu'il n'est plus utile
de s'entre-tuer mais qu'il est plus souhaitable de vivre ensemble en
paix : j'oserais dire qu'être homo peut devenir un acte civique. Les
humains sont déjà assez nombreux sur terre, il est temps de laisser la
place à toutes les palpitations humaines.
D'autres, parmi les hétéros ou prétendus, ne se privent pas de
rencontres garçonnières. Ils n'assimilent en rien ces expériences à de
l'avilissement mais au contraire à un enrichissement plein de dignité.
Cela remet-il en cause leur préférence pour la femme. Qui sait ? Il n'en
reste pas moins vrai que bon nombre, préfèrent ne pas douter de ce
point, justifiant qu'ils ont dérogé par accident. Pendant ces
rencontres, un tel a échappé à son identité toute tracée pour épouser
une autre forme de sentir, de jouir. Au contraire de s'applaudir d'avoir
osé, il redoute la répétition. Après huit années dans la marine, un
quartier maître, père de famille, ne me disait-il pas un jour qu'il
regrettait que les hommes sous ses ordres n'aient pas plus souvent "
tombé le pont " à sa rencontre ! " Hélas, quelque chose de divin reste
parfois muet et impuissant ".
Je me range derrière Jean Cocteau qui disait dans son Livre Blanc : " Le
sexe est la seule chose qui ne sache pas mentir chez l'homme ". Il faut
dédramatiser les plaisirs de la chair et faire régner l'amour de son
prochain. Et là, je me rapproche presque, métaphore du verbe, du poète
Raymond Lévesque pour prôner l'amour universel : amour des autres, amour
charnel.
Le monde entier a toujours été conduit par la sexualité, qui a marqué de
sa puissance créatrice et affective toutes nos civilisations. Nous ne
devons donc pas lui faire supporter toutes les fautes de la création ou
toutes les qualités des vices. Marcel Jouhandeau s'amusait ironiquement
en remarquant que " Mauriac, pourtant si prude, avait employé dans un de
ses romans le mot le plus salace de la langue française, " un mot qui
contient tout le vice de l'être " : concupiscence ". Un mot que
Jouhandeau ne sentait pas suspect a priori, Saint Augustin l'avait
employé aussi : " Le désir est la concupiscence de la chose absente ".
Mais Mauriac qui s'offusquait de tout par dissimulation, l'avait agacé
par son hypocrisie comme il le fit lors de la première représentation du
Bacchus de Cocteau : Jean Cocteau avait qualifié l'Eglise de " femme
tronc ". Mauriac sortit précipitamment de la salle, sous les yeux
attristés de Cocteau. La polémique s'enfla dans les journaux. Mauriac
signa des articles d'une violence extrême à l'encontre de Cocteau,
stigmatisant son absence de respect de l'Institution établie et ses
comportements amoureux. Cocteau, après plusieurs articles
psychologiquement destructeurs envers lui, finit par réagir en faisant
savoir à Mauriac que s'il continuait, lui, Jean Cocteau publierait les
lettres d'amour que Mauriac lui avait adressées lorsqu'il était arrivé à
Paris et cherchait auprès de sa personne du réconfort. L'affaire cessa
là tout net ! Mauriac ne voulait pas prendre le risque de révéler sa
vraie nature.
N'était-ce
pas un de mes amis, et des meilleurs, Henri Rode qui me raconta un jour
cette histoire révélatrice. Un après midi qu'il se retrouvait avec sa
connaissance, un gaillard hétéro et célèbre en politique devenu influent
chez les maires : " Je lui parlai de pénétration, il voulut bien que
j'exerce sur lui le goût que j'en avais. Couché sur le ventre, après que
j'eusse goûté à ses appas, il me présente un bas de reins qui, comme
toute sa personne, était de la plus appétissante teneur. Je montai sur
cette croupe si noble, l'estoquai. Je compris qu'il cillait, supportant
un peu inquiet l'assaut, et m'activai. Voilà que pris d'on ne sait quel
scrupule, peut-être de honte mâle, il fit un mouvement de la hanche qui
me projeta au beau milieu du tapis. Le reste de l'après midi se passa à
en rire. J'aurais dû m'obstiner dans mon assaut ! Comme beaucoup
d'hétérosexuels, il ne devait pas dédaigner d'être visité dans ses
retranchements, du moins il le pressentait et s'en voulait de m'avoir
interrompu. J'espère qu'il l'aura été vraiment, et mieux, après moi. "
Bien sûr je m'insurge contre les comportements vaniteux et orgueilleux
de ceux qui veulent dicter la conduite du monde mais sont incapables
d'avoir un choix de vie sans faute et conforme à leurs préceptes.
N'est-il pas impressionnant que l'aveu d'un garçon à sa mère, " J'aime
les hommes ", soit souvent suivi d'un tohu-bohu incroyable, de
remontrances, de soins affectés et d'une volonté de guérison exécrable,
afin d'exorciser, pour l'honneur de la famille, le rejet potentiel et
l'ironie de la société. Le malheureux qui a avoué est souvent projeté
dans une sorte d'exil forcé, en attendant qu'il change et revienne dans
le " droit chemin " ! " Je n'accepterai jamais la honte d'un fils comme
çà ! " ou " Tout, mais jamais un pédé ! " Faible consolation à notre
solitude et nos frustrations anciennes, que cette compréhension
malveillante, uniquement désireuse d'éviter le jugement réprobateur des
voisins. Nos envies " à part " sont particulièrement délicates à
présenter à nos parents, à notre entourage : après avoir exprimé notre
goût, la différence flagrante entraîne la méfiance et le rejet. Nous
sommes devenus des personnages de foire, des clowns avant que
quelquefois le miracle s'accomplisse et que les mères, les vraies, nous
reconnaissent et continuent de nous aimer.
Tout
s'oppose à nos aspirations dans un monde hétéro-normé qui s'érige en
modèle ! La culpabilité et l'outrage ont été inventés pour blâmer ceux
qui dévient du chemin trop étroit. D'ailleurs durant toute notre enfance
et adolescence, on nous a rabâché des lieux communs fondateurs pour nos
petits frères, ceux qui aiment les femmes, mais ravageurs pour nous.
Tout a été fait pour nous persuader, avant même que nous ne révélions
nos aspirations sexuelles, de devoir changer : grandissez et soyez des
hommes ; profitez bien de la jouissance des femmes (alors qu'évidement
nous n'en avons pas envie et que nous nous demandons bien pourquoi on
voudrait nous faire croire que c'est si important, voire agréable !) ;
ne vous souciez pas du qu'en dira-t-on lorsque vous jetez votre gourme,
puis jouissez avec le mariage (plus même, en dehors, cela classe un
homme, un vrai, un dur, d'avoir une puissance amoureuse qu'il ne réussit
pas à combler avec sa légitime) et soyez maître de vos enfants.
Parallèlement, le discours est affligeant contre les homosexuels : ces
lâches, cette lie de l'humanité qui déshonore tous les parents. Nous
entendons, depuis notre enfance, la répétition de la litanie contre les
homosexuels qui nous blesse au plus profond puisque nous sommes nombreux
à savoir, depuis longtemps si ce n'est toujours, que nous préférons les
hommes. Aucune insulte ne nous est épargnée : les pédés doivent se
cacher ; c'est indigne et cela outrage notre esprit et notre vue ; ce ne
sont pas des hommes, des lavettes tout au plus ; leur jouissance est
infecte et entachée de la perte de leur semence, ce fameux péché
innommable d'Onan condamné par dieu pour avoir dilapidé la sève
reproductrice ; tu vivras dans le péché sans jamais avoir le réconfort
du mariage sécurisant ; tu fais honte à tes parents ; tu ôtes à ta mère
le plaisir de ses petits enfants et tu outrages ton père dans sa
virilité : comment a-t-il procréé un monstre comme toi !; tes relations
seront éphémères car non fondées sur une vraie construction sociale (à
qui la faute, accordez-nous le) ; vous êtes instables par essence et par
perversité, volages et lubriques ; vous serez privés de descendances.
Il faut dire que ce chapelet de réussites assurées donne vraiment envie
de vivre un tel parcours du combattant, nous promettant sueur et
malheurs garantis pour toute la vie et sans soutien. La fameuse
difficulté d'être dont parlait si bien Jean Cocteau et dont bien peu de
gens encore ont pris conscience, est pour nous un fardeau constant
imposé par les biens pensants, peut-être un peu trop confits dans leur
pudibonderie rétrograde et voulant sauver leurs apparences.
Didier Mansuy