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Texte
Aimer ! Est-ce que c'est facile ? Je ne le crois pas. Il faut à la fois être séduit, puis vouloir maintenir l'amour. Souvent, c'est la deuxième étape de l'histoire qui est la plus difficile. Pour y parvenir, il est indispensable de résister à la pression de certains lieux communs : " Aimer : c'est impulsif, ça ne se commande pas ! Le coeur parle ou ne s'exprime pas ". Je ne crois pas à ces poncifs réducteurs. Pour moi, au contraire, l'amour est un combat, une construction, une suite d'efforts permettant de s'habituer à l'autre pour s'efforcer de le garder. L'amour est aussi une alchimie fragile qui donne de la joie et du plaisir aux deux partenaires grâce aux mystères de la biochimie.
Un mystère ! Pas si sûr pourtant !
Comme je suis profondément attaché à construire des relations durables entre les êtres, il m'est arrivé d'épauler des ami(e)s, qui rencontraient des difficultés conjugales, de les pousser à reconsidérer leurs problèmes de couple, avec lucidité et pragmatisme afin de faire prévaloir les aspects positifs de leur relation et de marginaliser les côtés destructeurs. J'ai connu de réels succès et suis parvenu à rétablir le privilège de l'amour dans des situations proches de la rupture. Tout est possible avec des personnes intelligentes et maîtresses d'elles-mêmes, capables de se livrer à une saine introspection pour évacuer le superflu des hargnes quotidiennes pourrissant la vie à deux et détruisant l'amour. Jamais, il ne faut laisser les rancoeurs grandir. Vite, elles deviennent insurmontables après avoir trop longtemps macéré dans la tête de chacun.
Malheureusement, force est de constater qu'avec son compagnon l'affaire est plus délicate : il n'est pas possible d'être médiateur, chaque tentative conciliante étant jugée suspecte. Notre ami intime, les tensions installées, ne veut ou ne peut pas entendre une logique différente de la sienne. " La raison du coeur est toujours la meilleure ", m'a souvent rabâché Claude. D'autres déclarent : " L'amour est impulsion et si çà marche plus, c'est fini ! ". Voilà l'argumentaire. Il semble imparable bien que trop convenu. Mais, décidément je dis non ! Je ne suis pas d'accord ! Pourtant, comment combattre contre les maximes puisées du bon sens populaire ? La plupart du temps, l'amour est rêvé éternel, selon une passion indestructible qui vit par elle-même et n'a besoin de rien d'autre que des deux êtres qui se sont découverts. Forte de cet axiome, la difficultés de vivre à deux passe alors pour la révélation de la fin de la relation et de l'incompatibilité de ces deux êtres. Non, toujours non ! Je ne suis vraiment pas d'accord, c'est trop facile et si peu réaliste. Dès qu'il y a une difficulté, pourquoi serait-il sage de flanquer tout par terre et de partir ailleurs ? Il faut se battre pour défendre notre privilège de couple.
- Tu tiens à construire le spontané! m'avait dit Claude
- Pour rendre la vie meilleure, l'amour plus serein et organiser le désordre .
- Un amour idéalisé.
- Oui, pour ne pas rester dépendant de fausses certitudes et faire la nique aux idées reçues
Le coup de foudre, attirance irrésistible et spontanée, n'est pas un gage de réussite ! Devenir amoureux est un art qui se cultive dans l'habitude. Certes, une telle approche démystifie l'amour rêvé, impulsif, spontané, définitif ! Mais il faut se rendre à l'évidence, les contes de fées datent d'une époque où nous vivions moins vieux et nous nous engagions pour un parcours de vie plus limité : la mort venait rompre le bail comme une sorte de sauveur face à toutes les petites médiocrités de la vie à deux. La mort permettait ensuite de se construire des légendes de héros de l'amour. Mais véritablement, ces histoires d'amour auraient-elles duré longtemps si la grande faucheuse n'y avait pas mis un terme ? Certes, d'aucuns diront que cette approche n'est pas romantique. Pourtant, croire à la passion spontanée et perpétuelle n'est pas très réaliste. " Les histoires d'amour finissant souvent mal " selon la chanson.
Par contre, la constance est affaire de volonté. J'ai toujours défendu cette position qui peut sembler à certains déconnectée de la réalité mais pour moi, seuls les efforts permettent de vaincre les mauvaises passes. Et voilà qu'aujourd'hui, la science me donne raison grâce à une heureuse découverte bousculant les idées reçues.
L'amour est un piège : un piège physiologique. Deux êtres ne se rencontrent pas du tout par inadvertance mais grâce à la sensibilité de certaines parties peu connues de leur cerveau reptilien. Ces tas de neurones sont capables de sentir des attirances ou des répulsions avant même que nous en soyons conscients. Par quel mécanisme ? C'est bien simple : des molécules chimiques volatiles sont diffusées par chaque personne et sont identifiées par l'odorat reptilien de nos partenaires. C'est ça la séduction ! Nous nous sentons et un réflexe nous fait savoir, lorsque nos récepteurs de phéromones sont compatibles, qu'avec tel ou tel individu nous serons bien, nous aurons des compatibilités biologiques et d'humeur. La délicieuse sensation de bien-être qui nous épanouit auprès de l'être convoité, découle de l'autorisation donnée par notre cerveau ancestral après qu'il a vérifié l'accord de nos personnalités biologiques. Pas du tout romantique tout cela ! C'est pourtant essentiel pour garantir une longévité à la relation potentielle. Ensuite, libre à nous, si nous voulons vraiment créer une histoire durable, de devenir combatif et lucide.
Il n'est pas vain de noter avec les scientifiques : " L'amour agit comme un chausse-trappe sur les individus. Il les met sous pression, fait monter la température comme lors d'une réaction chimique. L'amour révèle l'aptitude du cerveau à dépendre, comme d'une drogue, de la séduction créée par nos hormones ". Au surplus, n'oublions pas que les hormones femelles sont filles des hormones mâles et la testostérone, hormone mâle par excellence, est transformable en une autre hormone femelle, l'oestradiol. Ces petites considérations biochimiques remettent en question les certitudes de ceux prônant la supériorité d'un sexe sur l'autre.
Résultat, les êtres se rencontrent, sont séduits et s'attachent l'un à l'autre sous l'effet de l'attirance de molécules chimiques, alors que nous aurions tant espéré que cela soit par magie.
Avec les découvertes scientifiques, le mystère de la rencontre amoureuse disparaît : ce sont les hormones stéroïdes, lulibérine en tête, qui nous ont projetés dans les bras l'un de l'autre. Comment ne pas s'amuser à paraphraser le " Je vous aime " du poète, en l'écrivant dans la langue des chimistes : " Mon hypothalamus baigne dans la lulibérine ". Nos émois naissent de la reconnaissance entre elles de nos molécules olfactives. Tout notre désir grandit avec la fabrication par notre organisme, à notre insu, d'ocytocine. Merveilleux, cette prédisposition divine ! Elle nous conduit dans l'univers de l'amour de rêve : on sent que nous allons être bien avec notre partenaire, on a envie de lui et tout est pour le mieux. Et là ! on fonce, tête baissée. Nous sommes certains de notre choix, de notre " amour ". Ce réflexe, sans que nous le sachions, génère la production de tout un cortège de molécules : dopamines dopant le désir, endorphines euphorisantes, neurotransmetteurs stimulants.
Après un si merveilleux démarrage, tout est bien dans le meilleur des mondes de notre union. Cependant, lentement, la vie de couple lime la passion et le quotidien devient sordide si nous n'y prenons pas garde. L'effet foudroyant de l'ocytocine ne dure pas. Il s'estompe au bout de quelques mois.
Retour aux réalités ! C'est alors que, si nous ne voulons pas combattre pour sauver notre amour, tout tombe par terre. " Le temps de l'amour est usé ", disent certains naïvement, pour justifier les séparations ! Faux ! Archi faux ! Il commence pour les obstinés, ceux qui choisissent de sauver leur trésor.
A ce stade de la relation amoureuse, deux modes de vie s'opposent : poursuivre dans la construction et le positivisme, ou laisser-aller dans la facilité destructrice. Pour réussir à conserver son couple, lutter à deux est un devoir ! Si un seul partenaire est conscient de la tâche, il aimera de plus en plus, allant jusqu'à se cacher les signes les plus évidents d'éloignement de son compagnon , tandis que l'autre organisera la fuite et le détachement. Résultat, s'il n'y a pas deux combattants de l'amour, le plus constructeur va souffrir et le fataliste laisser mourir la relation. Une situation paradoxale peut naître alors : celui ayant été le plus demandeur initialement se révélant le plus laxiste. Il ne transcende pas la situation et ne s'aperçoit pas qu'il est son pire ennemi, n'ayant pas saisi la nécessité de la lutte, contre lui-même, qu'il doit mener pour sauver son amour. C'est un travail acharné. L'amour vainc tout à condition de le vouloir.
Le désir se trouve dans la tête, pas dans les glandes génitales, comme le disait Pythagore : " Le corps humain a son principe de chaleur ". L'amour est la conséquence d'une représentation que le cerveau projette sur le partenaire. La passion, plaisir délicieux qui nous envahit sans que nous soyons pleinement conscients de sa cause, nous rend légères les turpitudes de la vie, éloigne les désastres, désactive les haines et crée de la confiance en soi. L'amour pour toi en moi, c'est mon bonheur par toi ! L'homme construit l'amour contemporain avec l'esprit et dépasse le besoin de reproduction de sa race devenue pléthorique. Il fait l'amour dans le " beau " platonicien, aspirant à la sensualité afin de créer du sublime, voire transformer l'amour de l'autre en amour de Dieu.
Le chemin n'est pas facile sur les sentiers du bonheur en couple. Il faut se résoudre à ne pas vivre de contes de fée, mais à s'habituer l'un à l'autre. Relation d'intérêt bien compris ou histoire d'amour ? Les deux vont ensemble même si cette façon de voir est moins attractive que celle véhiculée par les journaux people. C'est le secret pour réussir un amour, entretenir par la volonté le devenir du couple par un parfait accord sur le projet de vie. La tâche est difficile. Même après avoir pris conscience que le pactole est tout entier compris dans le miracle initial, la première rencontre, et dans les efforts qu'ils convient de faire ensuite pour tout maintenir. La consécration tient à la volonté ! L'évidence est là : " On n'aime pas uniquement avec le coeur, mais avec son cerveau, si tentés que nous soyons suffisamment capables de nous adapter et de ne pas rester sur nos petits égoïsmes et nos vérités personnelles. "
Lorsque deux partenaires sont parvenus à ce niveau de compréhension du sublime, faut-il encore qu'ils apprennent sereinement à lutter contre les conflits du quotidien, à se grandir à deux, à se soutenir l'un l'autre, à se découvrir complémentaires. Savoir organiser la vie à deux et amoindrir les sources de tensions deviennent alors des actes essentiels, comme ceux de reconnaître le droit de l'autre, d'accepter ses sensibilités ou ses différences et de ne pas partir à la première difficulté venue. Quelle erreur de partir en lâchant la proie pour l'ombre ! Immanquablement les mêmes difficultés naîtront à nouveau lorsque cette passion de remplacement se sera élimée, après l'effet ocytocine.
Le sexe se doit d'être inventif pour ne pas dépérir. Une telle philosophie, oh combien réaliste, est pour beaucoup inacceptable parce qu'ils se sont égarés dans des rêves ou qu'ils se sont laissés tromper par les donneurs de leçons, imaginant que tout ira de soi merveilleusement bien, dès lors que le bon compagnon sera rencontré. Quelle bévue ! Quel manque de clairvoyance. L'amour est affaire de conviction et de volonté.
On pourrait croire que je parle de l'homme comme d'un teinturier, capable de raviver les couleurs de l'amour dans sa cuve intérieure. Comme ce serait simple ! Malheureusement, peu d'individus ont cette capacité thaumaturgique sous l'épiderme de égoïsme et de la vanité. Heureux les simples qui souffrent moins d'avoir construit un amour que les bâtisseurs qui peuvent être laissés sur le bord de la route par l'amant ingrat et croyant aux mirages.
Didier Mansuy